GROUPE
D'ÉTUDE DE LA CÉRAMIQUE ANTIQUE EN GAULE
Colloque annuel, Dijon, (...) 1964
Le
GROUPE D'ETUPES DE LA CERAMIQUE ANTIQUE EN GAULE avait été créé le 6
mars 1962 à l'initiative du Pr. J.-J. Hatt, de Strasbourg et sa
fondation avait été décidée par un nombre déjà important de
participants, archéologues et spécialistes de la question. Après le lIe
Colloque en février 1963, ce fut, tout récemment, le Ille, toujours à
Dijon, où nous avons reçu, encore une fois, l'hospitalité aimable de la
Faculté des Lettres et Sciences humaines en la personne de son Doyen, M.
le Professeur Roland Martin. Sous la présidence du Pr. J.-J. Hatt, les séances
de travail réunirent les Prs R. Martin, J. Le Gall, Mr P. Lebel, Mlle Le
Guennec (de Dijon), Pr. L. Lerat (de Besançon), M. Y. Jeannin (de Montbéliard),
M. M. Lutz (de Sarrebourg), M. Palet (de Nevers), M. J. Gourvest (de Châteaumeillant
et Marseille), M. H. Vertet (de Moulins), MM. J. Cabotse et R. Périchon
(de Roanne), Dr Max Vauthey (de Vichy), MM. Gabriel Fournier, P.F.
Fournier, MIles Meunier et BéaI (de Clermont-Ferrand), M. A.. Blanc (de
Valence), Dr Ch. Morel (de Mende), M. l'Abbé Peyre (de Banassac-La
Canourgue).
Le
thème général du colloque était le suivant: « La chronologie des
officines gauloises de terre sigillée, leurs rapports avec celles de
poterie indigène, principalement à la fin du Ier et au début du lIe siècle
».
En
fait, ce thème général fut souvent dépassé, au cours des exposés et
au cours des discussions, d'une part grâce à l'entrée en jeu des méthodes
et techniques de laboratoire (MM. A. Blanc et J. Cabotse), grâce également
à la présence pour la première fois de représentants des officines du
Centre-Sud (MM. Abbé Peyre et Dr Ch. Morel). Le Pr.J.-J. Hatt, après des
souhaits de bienvenue, expose un plan de travail de dix ans
dans
lequel on s'attacherait surtout à la céramique sigillée, particulièrement
à la céramique sigillée ornée, avec étude de tous les éléments
annexes permettant l'identification, la datation, la chronologie ;
mais il souligne également l'intérêt des recherches sur la céramique
commune, fine ou semi-fine, non sigillée. Les objectifs précis que doit
se fixer le Groupe d'Etudes de la céramique antique en Gaule sont
multiples; le premier concerne le « Corpus des Vases et fragments de
poteries signés », suivant une étude faite par Musée et par
Collection, grâce à une répartition judicieuse du travail aux échelons
local et régional; ce corpus comprendra successivement: les vases signés
dans le décor, les vases signés hors du décor, les graffiti sur moule,
les graffiti dans le décor, les graffiti sur poinçon-matrice, la réalisation
matérielle pouvant être assurée par photographies directes, par
moulages, par dessins, ou par plusieurs de ces procédés ensemble. Le
second objectif du Groupe concerne l' « Inventaire des Oves et
Motifs de remplissage » lesquels sont souvent aussi utiles que
les signatures matérielles, à la fois pour la constitution du Répertoire
décoratif de chaque potier et pour l'établissement d'un diagnostic
positif et différentiel.
Le
troisième objectif concerne la collaboration avec les méthodes
modernes de laboratoire, principalement les procédés de recherches
d'ordre physique et physico-chimique.
Le
quatrième objectif enfin concerne le perfectionnement des méthodes de
fouilles et l'Etablissement d'un certain nombre de principes et de
règles de fouille, qui soient adaptés aux conditions propres aux
Officines de potiers, lesquelles constituent des sites très particuliers.
Des principes généraux (quadrillage, étude des couches, stratigraphie,
travail par décapage et par coupes) sont valables ; mais en ce
domaine, l'essentiel n'est pas là, il faudrait même éviter des fouilles
trop belles à l'œil, éviter les tranchées droites verticales, éviter
la multiplication des coupes stratigraphiques. Il faut surtout suivre le
terrain, ne pas s'imposer à lui, s'inspirer des réalités sans idées
préconçues, il faut suivre les veines au décapage couche par couche,
s'arrêtant ici pour dégager des dépôts-poches bien circonscrits,
suivant ailleurs un couloir d'alandier, des substructions de bâtiment ou
un dallage organisé.
En
conclusion de ce premier échange de vues fut montrée l'utilité de la
constitution à Dijon d'un « Centre de documentation et' d'études »,
véritable instrument de travail dans un esprit coopératif.
***
Les
communications débutèrent par celle du Pr. Gabriel FOURNIER (de
Clermont-Ferrand) ; ce dernier envisage certains aspects de la
sigillée tardive « céramique estampée ») dans la Haute
Auvergne, particulièrement dans le Cantal, la Haute-Loire et la partie du
Sud du Puy-de-Dôme; elle est en rapport avec la céramique d'Argonne
décorée à la molette, mais présente des types de plats et d'écuelles,
avec des formes à marli et des décors guillochés ou incisés ; ces
décors sont d'une extrême diversité, avec des variantes où se mêlent
palmettes et rouelles, parfois des arceaux, ainsi que des décors
géométriques complexes. Cette céramique peut être datée des IVe et Ve
siècles, mais se retrouve sur des sites défensifs, dont l'occupation
semble remonter souvent jusqu'à l'époque celtique ; sa fabrication
et son utilisation semblent s'être poursuivies jusqu'au VIe siècle. Au
cours de la discussion, le Pr. J.-J. Hatt suggère l'origine africaine
possible de cette céramique et d'autre part fait observer qu'elle a
fortement influencé la céramique mérovingienne.
André BLANC expose ensuite les travaux du Laboratoire de Valence (antérieurement consacré à la Pédologie) et qui depuis trois ans effectue des analyses d'argiles et de tessons de céramique. Il fait un exposé analytique d'un grand intérêt sur les « Méthodes et Techniques de travail et de recherche ».
1° Les examens simples : examens à la loupe binoculaire; examens des couleurs (code international expolaire d'André CAYEUX - codes de Séguy et de Marcel Locquin) ; tests de dureté par le scléromètre.
2° Les exalfiens de laboratoire proprement dits :
a) études chimiques (qui doivent être effectuées sur une argile bien lavée et épurée) : spectro-photométrie de flamme (pour doser les alcalino-terreux), spectrographie (spectre d'émission dans l'arc ou spectre de l'étincelle) ; Rayons X ;
b) études minéralogiques: examen direct (loupe binoculaire au grossissement 40) ; coupes minces (épaisseur 2,5 centièmes de millimètre, soit 25 11.) ; étude d'esquilles (avec éclairage direct, par microscope minéralogique). Dans ce cadre de recherches figure également l'étude des glaçures antiques, dont BRONGNIART avait déjà autrefois jeté les bases. Au cours de la discussion, des aspects très divers de la question sont envisagés, par exemple la préparation et les qualités des argiles, les procédés de pourrissage, de purification et de décantation des argiles, l'utilisation empirique de la loi de Stokes, l'élévation du pH des argiles soit par une eau minérale alcaline (aux Martres-de- Veyre), soit par une lessive de cendres de bois (à Lezoux) , le rôle capital du lissage qui permet d'obtenir l'orientation des particules et la bi-réfringence de là couche superficielle qui à la cuisson constituera la glaçure. Enfin des notions sont dégagées, concernant les qualités d'une argile idéale, en particulier le caractère indispensable de sa pauvreté en chaux ; l'excès de chaux empêcherait le développement de la belle coloration rouge due à l'oxyde ferrique et donnerait à la cuisson une teinte jaunâtre peu heureuse. La composition théorique d'une argile idéale est la suivante :
Si02 : 50 %
Al2O3 : 30%
Fe2 03 : 10%
Alcalino-terreux : 06 %
Impuretés, chaux, etc. : 4 %
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De son côté, Jean CABOTSE expose ses « Etudes de laboratoire concernant la céramique commune » avec un essai de classification de cette dernière :
a) céramique carbonifère, soit grossière (charbonneuse ou fumigène) ; soit fine (noire ou ardoisée) ;
b)
céramique oxydée, soit grossière, soit fine, d'une teinte rouge. Sa
démonstration est basée sur l'étude des flacons à liquide en
poterie fine, provenant soit du site augustéen de la Nouvelle Poste
à Roanne, soit des documents d'Autun; il s'agit de flacons
piriformes, d'une coloration rose saumonée, avec une anse et un
goulot largement évasé et mouluré; c'est dans la mouluration du col
que l'on observe des variantes caractéristiques et une morphologie
particulière. Les différentes formes observées se retrouvent
identiques, dans les divers types de la classification indiquée par
l'auteur.
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A
propos de tessons trouvés à Châteaumeillant dans un dépotoir d'époque
Claudienne, J. GOURVEST présente une « Imitation de sigillée en
céramique grise » ; il s'agit d'une céramique grise
réductrice à couverte gris-ardoise ; quelques tessons sont signés,
par exemple TITOS.
***
Robert
PÉRICH ON expose un « Essai de typologie des Vases peints type Roanne »
: Vases hauts (se rattachant aux produits de la Gaule indépendante) ;
jattes; gobelets ; vases ovoïdes.
Les
fouilles d'Hugues VERTET à Coulanges, à Saint-Bonnet, à Lezoux, nous
valent la projection de 50 diapositives couleur fort instructives et très
attrayantes; tandis que Joël LE GALL présente des diapositives de vases
peints.
Enfin,
pour terminer la première partie de ce colloque, M. Lucien LERAT expose
l'état des recherches actuelles sur « Une nouvelle officine de
l'Est de la France », celle d'Offmont, à 6 kilomètres au Nord de
Belfort; des fouilles avaient déjà été faites sur ce site en 1830, le
matériel en. avait été recueilli au Musée de Colmar et avait été
publié ultérieurement par PAGEOT; il s'agit de céramique vernissée
noire dont il a été retrouvé récemment le dépotoir et quelques
fragments de moules, d'assez médiocre qualité d'ailleurs et mal cuits.
En intermède, une réunion au Musée Archéologique de Dijon per- mettait la visite d'une exposition temporaire de céramique, constituée par les documents apportés par les congressistes, exposition réalisée grâce à la toujours très aimable et courtoise hospitalité de M. Paul LEBEL
La
deuxième partie du colloque a été consacrée aux Officines et aux
Ateliers de terre sigillée du Nord-Est de la Gaule et nous valut des
exposés très riches de substances et d'aperçus originaux.
Le
rapport du Professeur. J.-J. Hatt est. consacré aux « Données nouvelles
sur la genèse des ateliers de terre sigillée du Nord-Est, d après les
fouilles de Boucheporn ». Il retrace d'abord l'historique du Problème
des Officines mosellanes (SATVRNINVS et SATTO ; Chémery;
Mittelbronn; Boucheporn). En ce qui concerne Boucheporn, dès les premiers
sondages et explorations de surface de Lutz et d'Eon, apparut la notion
d'une datation haute de ces ateliers. Puis suivit la découverte de
dépotoirs, stratifiés ou non, clos ou non; de fours; d'éléments de .
construction; enfin de dépotoirs remaniés et de remblais, certains de
ces derniers étant utilisables, car ils étaient tirés de dépotoirs
datés. La fouille fut menée avec rigueur, mettant en oeuvre le décapage
à plat qui mit en évidence l'absence de stratigraphie en hauteur, mais
décela des chevauchements latéraux de constructions, lesquels donnèrent
indirectement une stratigraphie. La méthode de travail fut conditionnée
par la nécessité de creuser une tranchée dans l'axe du futur oxyduc
(transport d'air liquide à destination des usines de carbo-chimie), axe
qui traversait tout le site en diagonale. En définitive, six grandes
périodes d'activité purent être attribuées à l'Officine au cours des
deux premiers siècles :
Première
période : années 40 à 60 :
Terra mura, type céramique grise gallo-belge, micacée ;
Deuxième
période : 60 à 80 :
Elaboration expérimentale
d'imitation de la terra sigillata de la Graufesenque
Troisième
période : 80 :
Apparition du potier SATVRNINVS, puis de SATTO, enfin du Potier à la
Rosette-Croix, ces trois artisans étant intimement liés à la haute
époque
Quatrième
période : Première moitié du Ile siècle jusque vers 130-140 :
Les mêmes, plus les potiers venus de la Gaule centrale, tel le Xl ;
en outre, quelques fragments de figurines en terre blanche de l'Allier ;
plus des cruches el une imitation de la céramique militaire du temps
de Trajan ;
Cinquième
période: 150-160 :
La fabrication de terra sigillata baisse en qualité et en quantité
Sixième
période: Fin du lIe siècle et au-delà :
Fabrication de tuiles et de
céramique commune.
En
conclusion, l'étude de l'Officine de Boucheporn apporte une contribution
importante à l'histoire de la Terra sigillata dans l'Est de i la
France, et même à celle de la Gaule entière.
***
MM.
J.J. Hatt et M. Lutz présentent ensuite des « Observations
tech-niques sur la forme des pieds des vases 37 de Chémery».
Certains moules de cette Officine montrent un arrière-fonds
circulaire, qui offre, venue de la masse même de la terre du moule, la
matière première pour la fabrication du pied du vase. Ce pied n'a donc
qu'à être tourné au moment de la finition du vase, sans qu'il soit
besoin d'un anneau rapporté et collé.
***
Enfin,
M. M. LUTZ expose une « Notice sur plusieurs potiers inconnus de
Boucheporn ». Sur 10 à 13 potiers constatés à Boucheporn, 10 sont
certains et attestés, comme par exemple, le créateur de l'officine
SATVRNINVS, le Potier à la Rosette classique. le Maître aux Boucliers et
aux Casques (Maître B.C.; cf. R.A.C., n° 5, janv.-mars 1963), Mais
d'autres n'ont pas encore donné leur nom en clair et on les identifie par
des détails caractéristiques : le Potier à la Rosette-Croix ;
le Potier à l'Ove trilobée ; le Potier à la Rosette cerclée ; le
Potier aux grandes feuilles ; le Potier à la feuille d'érable ;
le Potier aux doubles festons en guirlande. La discussion fit ressortir le
fait que Boucheporn paraît avoir été une Officine expérimentale, et
qu'elle a eu des interconnexions marquées avec ses voisines, en
particulier Chémery, l'Argonne, Trèves.
***
Finalement
nous revenons vers la Gaule centrale avec « Le Potier à la Petite
Tête Féminine (P. T. F.) de l'Officine de Terre-Franche (Allier) »,
dont moules, moulages et vases (en nature ou photographiés) sont
présentés par le Dr Max VAUTHEY et Paul VAUTHEY (de Vic.hy). Trois
éléments de diagnostic positifs sont offerts par ce potier : l'ove ;
le zigzag séparatif ; les rinceaux et poinçons végétaux ;
leur présence est constante, mais la véritable signature de l'artisan
est dans le poinçon original de la petite tête féminine.
Les
oves de ce potier, tels qu'on les constate sur les moules, sont de deux
types. Dans le type I, l'ove est simple (identique à celle de
SERVUS 2, mais plus petite) et le bâtonnet est droit, segmenté, sans
tête, ni pendentif ; dans le type Il, l'ove est double, (avec
un coeur de même dimension que dans le type 1), le bâtonnet est plein,
non segmenté, se terminant par une grosse rosette à cinq branches. La
ligne séparative (entre les métopes et sous la frise d'oves) est une
ligne ondulée épaisse, identique à celle de SERVUS 2. Quant à la Petite
tête féminine, de profil à gauche (sur les vases ou les moulages de
moule), avec une chevelure ondulée terminée par un chignon sur la nuque,
elle est très gracieuse, elle est située en haut et en bas du décor,
aux inter- sections verticales et horizontales de la ligne séparative
ondulée. Il semble s'agir d'un potier du cours Ile siècle (comme
l'indique le contexte archéologique) utilisant des poinçons assez
originaux et composant son décor avec goût.
***
En
définitive, ce IIIe Colloque du Groupe d'Etude de la céramique
antique en Gaule fut riche d'enseignement et d'échanges fructueux.
Ses conséquences pratiques immédiates – en dehors des contacts
permanents qu'il suscite entre archéologues et spécialistes, officiels
et amateurs – seront de deux ordres : d'abord l'organisation à Dijon du
Centre d'Etudes de la Céramique antique, ensuite la publication des
travaux présentés en 1963 et en 1964, en un seul fascicule, qui
constituera un supplément à la Revue archéologique de l'Est, animée
et dirigée par MM. J. J. HATT et P. LEBEL.